Une délégation de l’Église catholique romaine s’est rendue à
Istanbul, à l’occasion de la Fête du trône du Patriarcat œcuménique de
Constantinople.
04-12-2019 - Le Patriarche, en citant un théologien orthodoxe, a expliqué
que «tous les chrétiens appartiennent au même espace spirituel. Orient et
Occident ne sont pas des unités indépendantes, autosuffisantes et qui
s’expliquent d’elles-mêmes. Il n’est pas possible de les percevoir comme
séparées, car elles ont un passé commun, elles proviennent d’une tradition
commune qui a été graduellement déformée et lacérée».
La visite de la délégation, conduite par le cardinal Kurt
Koch, président du Conseil pontifical pour la Promotion de l’unité des
chrétiens, «manifeste le lien de paix et d’amour qui nous maintient dans
l’unité de l’Esprit, et elle constitue un symbole de notre désir commun de
reprise de la communion entre nos Églises sœurs», explique-t-il.
La voie du «calice commun»
De l’étreinte de Paul VI avec Athénagoras à Jérusalem en
1964 aux organes de dialogue théologique qui s’occupent de traditions communes
et de droit canonique, «nos Églises ont cultivé le dialogue d’amour et le
dialogue de vérité», a rappelé le Patriarche de Constantinople, «sur la voie du
calice commun».
«L’œcuménisme des saints» est aussi important, parce que «la
vénération des reliques peut aider à impliquer les fidèles dans l’engagement
pour le dialogue». Il est en effet «beau que les leaders des Églises se
rencontrent, mais il est très important que le peuple des croyants le fasse
aussi». En ce sens, le Patriarche exprime un grand remerciement à «notre frère
le Pape François» qui, avec la donation au patriarcat de certaines reliques de
saint Pierre, a accompli «un geste œcuménique prophétique». En réunissant à
Istanbul les frères Pierre et André, ce geste encourage à «continuer avec
encore plus d’espérance dans notre chemin vers l’unité souhaitée».
Source
Zenith - 10-12-2019 - 18h43 - Discours complet prononcé par
le patriarche oecuménique Bartholomée
Traduction par Hélène Ginabat à partir de celle publiée dans le quotidien du Vatican, en italien.
Éminence, frère aimé dans le Christ, cardinal Kurt Koch, président du
Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, et honorables
membres de la délégation officielle de l’Église de l’Ancienne Rome, nous vous
accueillons avec une grande joie au siège apostolique du patriarcat
oecuménique, au Phanar, à l’occasion de la Fête du Trône de l’Église de
Constantinople, commémoration annuelle du saint et glorieux apôtre André, le
premier appelé. Votre présence ici, aujourd’hui, selon la longue tradition
bénie de l’échange de délégations à l’occasion des fêtes du Trône de nos
Églises respectives, manifeste le lien de paix et d’amour qui nous garde dans
l’unité de l’Esprit (cf. Éph 4,3), et c’est un symbole de notre fort désir
commun de rétablissement de la communion entre nos Églises soeurs. Comme
l’avait justement observé le métropolite Meliton de Chalcédoine, d’heureuse
mémoire, l’un des pionniers de l’institution de cette belle tradition de notre
commémoration commune des frères et fondateurs de nos Églises, les apôtres
André et Pierre, ce n’est pas « une action statique de répétition, mais
une fondation toujours nouvelle, un progrès dynamique et une pénétration du
mystère de l’Église, qui avance progressivement vers la fin des temps »,
une rencontre bénie « qui intègre et éclaire notre dialogue théologique
comme les autres expressions de nos relations fraternelles », donnant la
prééminence à la « dimension divine de tout notre engagement pour
l’unité » (Chalcédoine, Athènes, 1999, 435).
Au cours de la divine liturgie que nous venons de célébrer, nous avons
entendu la péricope de l’Évangile selon Jean, le théologien, sur la vocation
des saints apôtres André le Protoclet et son frère Pierre le Coryphée: André
rencontra « d’abord Simon, son propre frère, et lui dit : “Nous avons
trouvé le Messie” – ce qui veut dire : Christ. André amena son frère à
Jésus. Jésus posa son regard sur lui et dit : “Tu es Simon, fils de
Jean ; tu t’appelleras Kèphas” – ce qui veut dire : Pierre ».
Cette étroite relation entre les deux frères selon la chair est un prototype
des relations spirituelles entre nos deux Églises soeurs et une invitation au
témoignage chrétien commun dans le monde, ainsi qu’à la proclamation de
l’Évangile « jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes, 1,8).
Comme l’a souligné le père Georges Florovsky – que l’on a appelé « le doyen
de la théologie orthodoxe » au XXe siècle, dont le patriarcat oecuménique a
honoré le quarantième anniversaire de son endormissement dans le Seigneur en
organisant, à Istanbul, une conférence théologique internationale de trois
jours intitulée « L’héritage théologique de l’archiprêtre Georges Florovsky »
(1-3 décembre 2019) – tous les chrétiens appartiennent au même espace
spirituel. L’Orient et l’Occident ne sont pas des unités indépendantes,
auto-suffisantes et qui s’expliquent par elles-mêmes. Il n’est pas possible de
les percevoir comme séparés, puisqu’ils ont un passé commun, ils proviennent
d’une tradition commune qui a été progressivemen déformée et lacérée. Selon le
père Florovsky, « la tragédie de la division est le problème le plus grand et
le plus fondamental de l’histoire chrétienne » (Patristic Theology and the Ethos of the Orthodox Church,
in Topics of Ecclesiastical History, Thessaloniki, 1979, 34). Le souvenir du
patrimoine chrétien commun et la compréhension de la tragédie de la division
sont un élan constant pour poursuivre l’effort en vue du rétablissement de
l’unité perdue.
Au cours des dernières décennies, sur le chemin vers la coupe commune, nos
Églises ont cultivé le dialogue d’amour et le dialogue de vérité. Le premier
est constitué par tous ces gestes qui nous ont rapprochés depuis l’étreinte
échangée en 1964 à Jérusalem entre le pape Paul VI et le patriarche oecuménique
Athénagoras, de vénérable mémoire. Le second est constitué par les organes de
dialogue théologique, qui nous permettent d’examiner les traditions communes
sur lesquelles construire notre avenir de communion, étudiant avec honnêteté et
respectant les questions qui bloquent nos Églises, dans la certitude
inébranlable que, sans une solide base théologique dans la vie ecclésiastique,
rien ne prospère. C’est pourquoi nous sommes heureux d’apprendre que la
Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre nos Églises,
qui est désormais à l’oeuvre depuis presque quarante ans, a accompli des
progrès sur un document important concernant le thème : Primauté et
synodalité dans le second millénaire et aujourd’hui. Au cours de la rencontre
du comité de coordination qui a eu lieu dans l’hospitalier monastère de Bose,
une ébauche revue de ce document a été examinée, en préparation de la rencontre
plénière de cette Commission pour le dialogue théologique.
Aujourd’hui, une dimension importante du dialogue d’amour et de vérité est
l’ « oecuménisme juridique », à savoir l’application pratique des
canons et des autres instruments normatifs de nos Églises en tant qu’ils sont
indissociables de notre recherche d’un accord au niveau de la doctrine, rejoint
à travers le débat théologique qui, jusqu’ici, a été l’aspect principal et
dominant dans notre dialogue. En ce qui concerne l’importance du droit
canonique pour le progrès du dialogue théologique entre nos Églises soeurs, la
Déclaration commune de Ravenne affirme : « Pour qu’il y ait la
pleine communion ecclésiale, il doit y avoir, parmi nos Églises, la
reconnaissance mutuelle des législations canoniques dans leurs légitimes
diversités » (n.16). Comme nous avons eu l’occasion de le souligner en
septembre dernier à Rome, dans notre discours au 24e Congrès
international de la société pour le droit des Églises orientales, les canons ne
doivent pas être « traités simplement comme des « frontières »
qui définissent les « limites de l’Église » », toujours selon la
fameuse phrase de Georges Florovsky (The
Limits of the Church, in The Patristic Witness of Georges Florovsky
– Essential Theological Writings, Brandon Gallaher and Paul Ladouceur ed.,
London, T&T Clark, 2019, 247-256, in 256). Nous avons souligné que la
tradition canonique commune du premier millénaire sert « de structure
théorique et pratique pour intégrer notre dialogue de vérité et d’amour
institué il y a très longtemps, notre engagement à dire “la vérité dans la
charité” (Éphésiens 4,15) ».
Quelques jours après ce discours, notre frère le pape François, que nous
avons eu l’heureuse occasion de rencontrer et d’embrasser à nouveau au Vatican,
s’est dit d’accord avec notre position, soulignant que le dialogue théologique
entre les deux Églises soeurs a « une dimension aussi canonique, dans la
mesure où l’ecclésiologie s’exprime dans les institutions et dans le droit des
Églises. Il est donc clair que le droit canonique est non seulement une aide
pour le dialogue oecuménique, mais il en est aussi une dimension
essentielle ». Et le pape a rappelé que notre dialogue théologique actuel
« se basant sur le patrimoine canonique commun du premier millénaire […]
cherche précisément une compréhension commune de la primauté et de la synodalité,
et de leurs interrelations, au service de l’unité de l’Église ».
Le dialogue de vérité dans le « lien de l’amour » est enrichi,
compris et renforcé aussi par l’ « oecuménisme des saints ». Comme
vous l’avez dit, Éminence bienaimée, cher Cardinal Kurt Koch,
« l’oecuménisme des saints est une excellente opportunité de dialogue
entre les Églises […]. Ceci est très important parce que la vénération des
reliques peut aider à impliquer les fidèles dans l’engagement pour le dialogue.
En effet, il est beau que les chefs des Églises se rencontrent, mais il est
très important que le peuple des croyants le fasse aussi ».
C’est pour cette raison que nous avons éprouvé une profonde émotion
lorsqu’en juin dernier, à la fête patronale de l’Église de Rome, nous avons appris
que Sa Sainteté, notre frère le pape François, nous donnait quelques fragments
des reliques sacrées du saint apôtre Pierre. Dans ce signe oecuménique
prophétique, nous parvenons à percevoir différentes significations profondes.
L’arrivée des reliques du saint apôtre Pierre au siège du patriarcat
oecuménique à Constantinople a été en soi une bénédiction, puisque saint Pierre
est une figure centrale du christianisme en tant qu’apôtre de la confession,
témoin de la résurrection et signe d’espérance pour tous les chrétiens.
Ce don de notre frère le pape François est un nouveau jalon sur la voie du
rapprochement. Comme l’a écrit Sa Sainteté dans une lettre fraternelle qu’il
nous a adressée, son profond désir était que « quelques fragments des
reliques de l’apôtre Pierre soient » mis « à côté des reliques de
l’apôtre André, qui est vénéré comme patron céleste de l’Église de
Constantinople ». Le fait que les frères Pierre et André soient de nouveau
réunis à travers la présence de leurs saintes reliques nous encourage à
continuer avec encore plus d’emphase et d’espérance sur notre chemin vers
l’unité désirée.
Éminence, chers frères, nous vous remercions de tout coeur pour votre visite
et votre contribution à notre bonne bataille commune. S’il vous plaît, apportez
nos cordiales salutations fraternelles et nos plus sincères remerciements à Sa
Sainteté le pape François. Que le Dieu tout-puissant et miséricordieux, à
travers les prières des saints frères apôtres Pierre et André, bénisse et
soutienne nos efforts communs pour rétablir la communion entre nos deux Églises
soeurs.
© Traduction de Zenit,
Hélène Ginabat