Cardinal Koch: Des relations profondes soutiennent le chemin œcuménique.
Date de publication : Jun 05, 2020 4:37:23 PM
Massimiliano Menichetti – Cité du Vatican - À l'occasion du soixantième anniversaire du début du voyage œcuménique voulu par saint Jean XXIII, le président du Conseil pontifical pour la Promotion de l'unité des chrétiens met en évidence un chemin riche en «développements et progrès».
La fondation du Secrétariat pour la promotion de l'unité des chrétiens, le 5 juin 1960, par saint Jean XXIII pour devenir ensuite le Conseil pontifical en 1988, est source de grande joie et d’un engagement constant sur un «chemin irréversible». C’est ce qu’affirme le cardinal Kurt Koch dans une interview accordée aux médias du Vatican. Pour le président du Conseil pontifical, trois piliers soutiennent particulièrement l’œcuménisme : le dialogue de la charité, le dialogue de la vérité et l'adhésion profonde et concordante de tous les fidèles à la prière de Jésus, «que tous soient un». L'œcuménisme est selon lui un horizon qui a bénéficié d'une «grande continuité et cohérence» entre tous les Papes.
Il y a soixante ans, le contexte œcuménique était très différent. Comment a-t-il évolué et comment définir la situation œcuménique et les défis d'aujourd'hui ?
En 1960, le mouvement œcuménique, dans sa forme officielle au sein de l'Église catholique, n'en était encore qu'à ses débuts. Au cours des soixante dernières années, de nombreuses réunions et temps de dialogue ont eu lieu. Il a été possible d’en tirer de nombreux fruits positifs. Cependant, le véritable objectif du mouvement œcuménique, à savoir la restauration de l'unité de l'Église, n'a pas encore été atteint. À l'heure actuelle, l'un des plus grands défis consiste précisément en l'absence d'un consensus vraiment solide sur l'objectif de l'œcuménisme. Il y a une entente sur la nécessité de l'unité, il n’y en a pas encore sur la forme qu'elle devrait recouvrir. Nous avons besoin d'une vision commune, c’est essentiel pour l'unité de l'Église. Les prochaines étapes ne peuvent être franchies que si nous avons un objectif clair à l'esprit.
Le chemin œcuménique est souvent défini comme un «échange de dons». En soixante ans, comment l'Église catholique a-t-elle été transformée par cette réciprocité ? Quels sont les dons que notre Église a offerts aux autres chrétiens ?
Derrière cette définition, il y a la conviction que chaque Église peut apporter une contribution spécifique à la restauration de l'unité. Des Églises et des communautés ecclésiales nées de la Réforme, l'Église catholique a surtout appris la centralité de la Parole de Dieu dans la vie de l'Église, dans les célébrations liturgiques et dans la pensée théologique. La conscience que la foi vient de l'écoute de la Parole de Dieu et que l'Évangile de Jésus-Christ doit être au centre de l'Église a été ravivée en nous. Des Églises orthodoxes, comme le Pape François l'a souligné à maintes reprises, nous pouvons apprendre beaucoup sur la synodalité dans la vie de l'Église et la collégialité des évêques.
Pour sa part, l'Église catholique peut offrir un don spécial à la discussion œcuménique : l'accent mis sur l'universalité de l'Église. Parce que l'Église catholique vit dans l'interrelation entre l'unité de l'Église universelle et la multiplicité des Églises locales, elle peut montrer par l'exemple que l'unité et la multiplicité ne sont pas opposées même dans l'œcuménisme, mais se soutiennent mutuellement.
L'œcuménisme vise la pleine communion entre tous les chrétiens. Concrètement, qu'est-ce qui a été fait ?
Tous les efforts et activités œcuméniques doivent servir à restaurer l'unité des chrétiens ; il est nécessaire de s'assurer de temps en temps qu'ils continuent à viser cet objectif. Cela vaut en particulier pour le dialogue de la charité, c'est-à-dire le soin mis à entretenir des relations amicales entre les différentes Églises. Ce dialogue a permis de surmonter de nombreux préjugés du passé et d'intensifier une meilleure compréhension. Le dialogue de la vérité, c'est-à-dire l'analyse théologique des questions controversées qui ont conduit à des divisions au cours de l'histoire, est tout aussi important. Lors de ces dialogues, il est apparu de manière toujours plus évidente que ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous sépare. Enfin, l'œcuménisme spirituel doit être mentionné comme un aspect fondamental, c'est-à-dire l'adhésion profonde et concordante de tous les fidèles à la prière sacerdotale de Jésus, «que tous soient un». Cette prière maintient éveillée en nous la conscience que l'unité de l'Église correspond à la volonté du Seigneur.
Nous avons célébré le 25e anniversaire de l'encyclique de saint Jean-Paul II Ut Unum Sint, publiée le 25 mai 1995. Une encyclique importante pour l’œcuménisme ?
Son importance réside principalement dans le fait que, pour la première fois dans l'histoire, un Pape a écrit une encyclique sur l'œcuménisme. Avec elle, trente ans après la fin du Concile, Jean-Paul II a rappelé que l'Église catholique est «irréversiblement engagée» dans la voie œcuménique (UUS 3) et que tous les membres de l'Église sont tenus par la foi de participer au mouvement œcuménique. Une autre initiative surprenante du Pape me semble particulièrement remarquable. Conscient, d'une part, que le ministère pétrinien représente l'un des plus grands obstacles à la restauration de l'unité et convaincu, d'autre part, que le ministère de l'évêque de Rome est d'une importance constitutive pour l'unité de l'Église, Jean-Paul II a invité toute la communauté œcuménique à s'engager dans un «dialogue fraternel, patient» sur la primauté de l'évêque de Rome, dans le but de trouver une forme d'exercice de la primauté «ouverte à une situation nouvelle, mais sans renoncement aucun à l'essentiel de sa mission», plus précisément dans la mesure où ce ministère «pourra réaliser un service d'amour reconnu par les uns et par les autres» (UUS 95-96). À mon avis, il s'agit d'une initiative très prometteuse, qui a également été reprise à différentes occasions par le Pape Benoît XVI et le Pape François.
Depuis la fondation du Dicastère, les Papes ont été très engagés dans l'œcuménisme. Comment définir en quelques mots la contribution spécifique de chacun ?
Tout d'abord, nous devons être reconnaissants car tous les Papes qui se sont succédé depuis le Concile ont montré un cœur ouvert à la cause œcuménique et il y a eu une grande continuité et cohérence entre eux. Le Pape Jean XXIII était bien conscient que la restauration de l'unité des chrétiens est fondamentale pour le renouveau de l'Église catholique. Le Pape Paul VI a contribué de manière significative à l'adoption par le Concile du décret sur l'œcuménisme "Unitatis Redintegratio". Il a été un Pape aux grands gestes œcuméniques, notamment envers l'orthodoxie et la communion anglicane, et a été le premier Pape à visiter le Conseil œcuménique des Églises. Saint Jean-Paul II était convaincu que le troisième millénaire serait amené à faire face à la grande tâche de restaurer l'unité qui avait été perdue, et il voyait dans le témoignage des martyrs qui appartenaient à différentes Églises une aide essentielle. Avec le don de leur vie, ils avaient déjà vécu l'unité. Pour le Pape Benoît XVI, l'œcuménisme, à un niveau profond, est une question de foi et, par conséquent, un devoir primordial du successeur de Pierre. Pour le Pape François, il est fondamental que les différentes communautés ecclésiales marchent ensemble sur le chemin de l'unité, car l'unité grandit au fur et à mesure qu'elles marchent. Il insiste également sur l'importance de l'œcuménisme du sang.
Pour marquer ce double anniversaire (de l’encyclique et du dicastère) le Conseil pontifical publiera cette année un Vademecum œcuménique pour les évêques. Pourquoi ce nouveau document ?
Le ministère confié à l'évêque est un service d'unité dans son diocèse et d'unité entre l'Église locale et l'Église universelle. Mais elle a aussi une importance particulière concernant l'œcuménisme. Le ministère pastoral de l'évêque doit être compris d’une façon plus large que l'unité de son Église, puisqu'il inclut également les baptisés non catholiques. Dans les différentes églises locales, les évêques diocésains sont donc les premiers responsables de l'unité des chrétiens. Le Vademecum a pour but d'aider les évêques à comprendre plus en profondeur et à mettre en pratique leur responsabilité œcuménique. Le Vademecum est également spécialement conçu pour présenter aux évêques nouvellement nommés leurs tâches, qui consistent à offrir un accompagnement à tous les membres de l'Église afin qu'ils puissent remplir leur devoir qui consiste à participer au mouvement œcuménique.
Une autre initiative du Conseil Pontifical pour cet anniversaire est la publication de la revue Acta Œcumenica qui poursuit et enrichit le bulletin Information Service/Service d'Information publié depuis plus de cinquante ans. Quel est l'objectif de ce magazine ?
Aujourd'hui, nombreux sont les fidèles qui ont l'impression que l'œcuménisme est dans une impasse. Cette impression est largement due à une information insuffisante concernant les développements et les progrès de l'œcuménisme. Il est donc important de s'assurer que les résultats œcuméniques les plus importants soient bien reçus. Cela vaut en particulier pour les documents préparés et publiés par les commissions œcuméniques. Comme on le sait, les documents qui ne sont pas lus n’ont que peu d'utilité. La revue Acta Oecumenica vise ainsi à faciliter cet accueil, principalement en fournissant des informations sur l'engagement œcuménique du Pape François et les activités œcuméniques du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, en présentant les principaux documents des dialogues œcuméniques. Le magazine veut être un support à la formation œcuménique, un aspect d'une importance fondamentale pour l'avenir.
L'œcuménisme se fait dans la rencontre et le dialogue. Comment la crise sanitaire actuelle affecte-t-elle le travail accompli ?
L'œcuménisme vit du dialogue et des rencontres directes et personnelles. Cela n'est pas facilement réalisable aujourd'hui en raison des restrictions dues à la pandémie de nouveau coronavirus, car nous ne pouvons ni recevoir ici à Rome des invités d'autres Églises chrétiennes ni voyager pour rencontrer des représentants d'autres Églises. Les dialogues œcuméniques se heurtent à de grandes difficultés lorsqu'ils se déroulent à distance, en pratiquant le "bureau à domicile". Mais d'autre part, la situation difficile que le monde traverse en ce moment contribue à rapprocher les Églises chrétiennes, qui sont toutes dans le même bateau. Cela a été manifeste lorsque, par exemple, le Pape François a invité toutes les Églises chrétiennes à se joindre à lui pour la récitation du Notre Père, le 25 mars dernier, afin de prier pour la fin de la pandémie. J'ai adressé l'invitation du Saint-Père aux chefs des Églises chrétiennes, et la plupart des destinataires ont répondu très rapidement à ma lettre, exprimant leur gratitude pour cette initiative. Cela m'a montré combien les relations œcuméniques sont devenues profondes, et comment elles peuvent être approfondies davantage dans des situations très difficiles. Mais bien sûr, nous serons très heureux lorsque nous pourrons à nouveau avoir des réunions et des dialogues en face à face, en personne, avec nos interlocuteurs.
Vous aussi, Éminence, allez bientôt célébrer un anniversaire. Vous avez été nommé par le Benoît XVI président du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens le 1er juillet 2010. Quel est votre bilan de ces dix années ?
Je suis particulièrement surpris par la rapidité avec laquelle le temps a passé. Je ne trouve le travail pas toujours facile, mais très beau et enrichissant. Je suis reconnaissant au Pape Benoît XVI de m'avoir confié cette tâche, et au Pape François de m'avoir confirmé à cette charge. Au fil des ans, j'ai pu participer et apporter ma contribution à divers événements et aux nombreuses initiatives œcuméniques des deux Souverains Pontifes. J'ai beaucoup appris et fait l’expérience suivante à plusieurs reprises : dans le travail œcuménique, ce que vous recevez est plus grand que ce que vous pouvez donner. Je suis conscient qu'après tout il n'y a qu'un seul ministre œcuménique, qui est l'Esprit Saint ; nous, les soi-disant œcuménistes, ne sommes que ses instruments, plus ou moins faibles. Après dix ans, je ne pense donc pas qu’il me faille faire un bilan. Ce modeste anniversaire est plutôt une occasion à mettre à profit pour remercier l'Esprit Saint et lui demander de continuer à accompagner le cheminement œcuménique, nous permettant de prendre, l'un après l'autre, des pas en avant positifs, qui nous rapprochent toujours plus de l'unité de l'Église.