Message du Président - Avr-Mai 2020

La désunion est intolérable face aux persécutions.

Face aux menaces accrues pesant sur les chrétiens à travers le monde, nous avons à nous interroger sur le sens des divisions qui séparent notre Eglise commune et que notre histoire a réussi à mettre en morceaux.

Chacune des Eglises se voyant indépendante ou autocéphale veut vivre sa tradition; est-elle consciente que cette attitude de jalousie par rapport à sa propre traditions se fait au détriment de l'Unité ? La Tradition est-elle plus importante que l'Unité ? Cette dernière a été instituée dans les Ecritures-Saintes, le Christ en a tant insisté. L'Unité émanent donc de la révélation.

Chez les catholiques, l'Union puisée dans la révélation est reprise surtout depuis le Concile Vatican II dans le discours d'enseignement des évêques. Pour les Orthodoxes, l'Oecuménisme entre Eglise de l'Orthodoxie est de tradition très ancienne.

De nos jours, la persécution des chrétiens semble reprendre dans des régions encore localisées de la planète. La violence va en s'accroissant. En France même, le dernier rapport du Ministère de l'intérieur présente des données sur la France qui montre une tendance vers un accroissement des menaces qui pesent sur les chrétiens [1]. Une fois la dynamique meurtrière enclenchée, il faut craindre que le nombre d'actes hostiles non seulement ne prenne pas fin mais que le phénomène s'auto-alimente.

Les chrétiens savent plus ou moins qu'il y a eu dans l'histoire de l'Eglise des siècles de persécutions ; on en retient trois mais nous pouvons en compter plus. Les trois plus importants s'étendent du début du IIe siècle à la fin du IVe. Il faut savoir que les persécutions elles-mêmes fournissaient sans cesse de nouveaux motifs à de nouvelles persécutions. On supposaient alors que les chrétiens étaient criminels puisqu'ils étaient partout traités en coupables et les païens préjugeaient de l'énormité des crimes par la rigueur des châtiments [2]. Selon l'expression d'un païen, Libanius lui-même connu pour sa haine contre les chrétiens, le sang chrétien ruissela par torrent durant le cours de trois cents années [3]. Aujourd'hui avec le recul, en relisant les récits de tortures intolérables des martyrs parvenus jusqu'à nous, les divisions qui séparent des parties de notre Eglise deviennent également intolérables, relatives, égoistes, mesquines. Comment peut-on s'en accommoder ?

Pour réaliser la portée de nos affirmations, replongeons-nous dans des extraits de récits de martyrs. Ici suit un premier texte emprunté de la bibliothèque choisie des pères de l'Eglise [4].

« Poursuivis comme des bêtes féroces, les supplices ordinaires paraissaient trop doux pour des hommes regardés universellement comme les ennemis des dieux et de la patrie. On renouvelle, on épuise, on invente des tourments qui font frémir [5].

Partout les chrétiens sont battus de verges, écorchés par des ongles d'airain ; on les déchire par le fer ; on les consume par le feu; on les suspend sur les chevalets ; on les cloue sur la croix ; on se fait un jeu barbare de les voir mettre en pièces par les chiens, dévorer par les lions. Ils sont couverts de lames embrasées, assis sur des chaises ardentes, plongés dans l'huile bouillante, brûlés à petit feu. On les brise sous des meules ; on les submerge dans les flots ; on les enterre tout vifs ; on les coupe par morceaux.

Dans leurs corps couverts de blessures on ne déchire plus que des plaies ; on ménage avec cruauté les moments qui leur restent à vivre ; on choisit parmi les supplices ceux qui font mourir le plus lentement ; on les guérit par des soins barbares pour les mettre en état de souffrir de nouveau. La pitié est éteinte pour eux dans les coeurs des hommes et le peuple qui voit presque toujours avec quelque mouvement de compassion les plus grands criminels sur l'échafaud applaudit aux tourments des chrétiens par des cris d'allégresse [6]. La mort même ne les met point à couvert de la rage de leur persécuteurs. On s'acharne sur les tristes restes de leurs corps. On les réduit en cendres et on les jette au vent pour les anéantir s'il est possible. L'horreur qu'on a contre eux n'est pas satisfaite du supplice de quelques particuliers. Rome s'enivre de leur sang ; elle en fait couler les fleuves ; elle en inonde la terre. On n'épargne ni âge, ni sexe, ni rang, ni condition. Ce n'est point une persécution de quelques jours, de quelques mois, de quelques années ; c'est par des siècles qu'il faut compter le temps des souffrances de l'Eglise. On ne peut la suivre durant trois cents ans qu'à la trace du sang et des martyrs [7].

Le second récit est extrait des Moeurs des Chrétiens [8].

On employait pour faire nier aux chrétiens leur prétendu crime, les moyens dont on se servait pour faire avouer aux autres leurs crimes effectifs....Il était ordinaire de faire condamner les personnes viles à travailler aux mines...où de les destiner à être exposés aux bêtes, dans l'amphithéâtre, pour divertir le peuple....On ne peut nier que les magistrats n'en aient souvent inventé de nouveaux contre les Chrétiens, principalement dans les dernières persécutions, où le dépit de les voir multiplier s'était tourné en fureur, et où le démon leur suggérait des moyens de tuer les âmes plutôt que le corps. Je ne crois pas qu'il se trouve d'exemple, que l'on ait condamné d'autres que des vierges chrétiennes, à être prostituées.

L'amour de la chasteté qui éclatait dans les Chrétiens, fit imaginer cette espèce de supplice, comme aussi celui dont parlait Saint-Jérôme, de ce Martyr qui fut attaché mollement sur un lit dans un lieu délicieux, pour être tenté par une femme impudique, à qui il cracha sa langue au visage. Enfin, il y a un très grand nombre de Martyrs tués ou tourmentés sans aucune forme de justice, soit par la populace mutinée, soit par les ennemis particuliers.

Et poutant les règles de l'Eglise défendaient de s'exposer de soi-même au martyre, ni de rien faire qui pût irriter les Païens et attirer la perfection ; comme de briser leurs idoles, mettre le feu aux temples, dire des injures à leurs dieux ou attaquer publiquement leurs superstitions....La maxime générale était de ne point tenter Dieu et d'attendre en patience que l'on fut découvert et interrogé juridiquement, pour rendre compte de sa foi.

L'ouvrage de l'Abbé Fleury s'étend du Chapître XVI au XIX sur les calomnies, les reproches, les formes de jugement et les supplices et sur les persécutions qu'ont eu à souffrir les Chrétiens. .

Après lecture de ces quelques lignes, nous réalisons les étapes de persécutions par lesquelles sont passés nos ancêtres des premiers siècles pour nous permettre aujourd'hui de nous retrouver dans la connaissance et l'intimité de la Sainte-Trinité. Est-il encore possible d'accepter ou même de tolérer les divisions qui nous séparent entre chrétiens ? Chrétiens d'aujourd'hui, n'aura-t-on aucun prix à payer afin que les générations qui suivent puissent rester fidèles à Dieu ? Ce prix à payer n'est pas nécessairement le prix du sang; il peut être celui du renoncement à nos propres traditions, à notre propre vision des mystères de Dieu ou de notre propre représentation de l'Eglise.

[1] - Données publiées par le ministère de l'intérieur français pour la France: "On constate presque 7 fois plus d'actes antichrétiens que d'actes anti-musulmans. Si le nombre de faits antichrétiens demeure stable l'année dernière (1 052 contre 1 063), il est près de 7 fois supérieur au nombre de faits anti-musulmans (154, + 54%), qui, lui, est « relativement faible », précise Beauvau. Dans l'ensemble « ce sont quasi exclusivement les menaces qui augmentent, tandis que les actions sont en baisse. C’est peut-être le signe que les menaces ne sont plus banalisées, que les victimes portent davantage plainte et que leur plainte est sérieusement prise en compte », précise Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT.

[2] - M. l'ABBE FLEURY, Moeurs des Chrestiens, Ed. Jean Mariette, MDCCXII.

[3] - LIBANIUS, Orat. fun. Julian nella Bibl. gr. Fabric. lib., VII, page 283.

[4] - M.N.S. GUILLON, Bibliothèque choisie des Père de l'Eglise, 1828. Tome I, Page 265.

[5] - SAINT JUTIN : "On nous décapite, on nous attache à des croix, on nous expose aux bêtes, on nous tourmente par des chaines, par le feu, et par tous les autres supplices les plus cruels, parce que nous ne voulons pas renoncer à notre foi". Dans "Dialogue avec le juif Tryphon".

[6] - TERTULIEN, Apologétique.

[7] - Les livres des chrétiens n'étaient pas plus épargnés que les personnes. TILLEMONT. Mémoires, Tome V.

[8] - . l'ABBE FLEURY, Moeurs des Chrestiens, Ed. Jean Mariette, MDCCXII, P. 133.