Parution "d'ecclésiologie en dialogues" : Jean Zizioulas et Walter Kasper.
Date de publication : Oct 12, 2019 4:54:24 PM
Pour qu’il ait en tout la primauté. Jean Zizioulas et Walter Kasper, ecclésiologies en dialogue, de Pascal Nègre, préface du cardinal Schönborn, Cerf, coll. « Cogitatio Fidei » n. 306, 2018, 688 p., 30 €
Cet ouvrage, qui met en dialogue l’ecclésiologie de deux théologiens majeurs du XXe siècle, ouvre aussi des perspectives pour la poursuite du dialogue œcuménique.
12-10-2019 - Nés au début des années 1930, le métropolite orthodoxe de Pergame Jean Zizioulas et le cardinal catholique Walter Kasper sont vraiment contemporains. Qui plus est, chacun figure comme un des meilleurs théologiens des cinq ou six dernières décennies. Il était alors tentant de comparer leurs pensées, ce qui n’avait encore jamais été fait. Pascal Nègre, prêtre du diocèse de Paris âgé de 45 ans et enseignant à la Faculté Notre-Dame, l’a tenté dans sa thèse en théologie dont cet épais ouvrage reprend l’essentiel. Et l’on doit dire que le résultat est vraiment remarquable, ne serait-ce que par le fait que le lecteur voit se développer sous ses yeux la théologie de… trois auteurs : Zizioulas et Kasper, bien sûr, mais aussi Nègre lui-même, en particulier dans la troisième et dernière partie.
Synodalité et primauté
Ce livre, intelligemment structuré, comprend trois parties, les deux premières pour chacun des deux théologiens et la troisième étant un essai de synthèse comparative. Chaque partie elle-même est constituée de trois chapitres : le premier traite du rapport de l’Église à l’eucharistie, le deuxième de la communion et des ministères au sein du corps ecclésial et le troisième, plus spécifiquement, de l’articulation entre synodalité et primauté. Ce plan ingénieusement construit (ce qui n’empêche pas quelques redites…) permet au lecteur de lire cette belle œuvre de deux manières différentes : soit au fil des pages, comme d’habitude, soit en lisant tous les premiers chapitres de chaque partie, puis tous les deuxièmes, enfin tous les troisièmes.
Dans les deux premières parties, Pascal Nègre montre comment les ecclésiologies de ces deux grands théologiens qui, soulignons-le, n’ont pas limité le champ de leur réflexion à l’Église, se répondent bien quand on va au fond des choses, en dépassant des présentations qui peuvent à première (et courte !) vue ne montrer que des différences ; certes, chacun part d’un lieu théologique déterminé : l’un fut formé dans des universités orthodoxes grecques et fut durablement marqué par Georges Florovsky ; l’autre est le pur produit de la plus grande théologie allemande dans une de ses meilleures écoles, celle de Tübingen. Mais, leur cheminement à chacun les conduit, après bien des années, voire des décennies, d’étude, de réflexion approfondie et de publications plus ou moins nombreuses vers les mêmes éléments essentiels et il est passionnant de découvrir à la suite de Pascal Nègre comment surviennent des proximités au départ inattendues et qui peuvent rester facilement cachées si l’on n’y prête pas grande attention.
Théologie de l’Eucharistie
Prenons un seul exemple, dans les premiers chapitres : on le sait, et c’est ce qui l’a rendu célèbre, y compris en Occident, le fil rouge de l’ecclésiologie de Zizioulas est qu’elle est inséparable d’une théologie de l’Eucharistie ; c’est de cette dernière qu’il part quand il étudie l’Église ! Kasper, lui, va explorer le mystère de l’unique Église en développant d’abord un certain nombre d’images, comme a d’ailleurs fait Vatican II : Peuple de Dieu, Corps du Christ, Temple de l’Esprit,… mais, annonce notre auteur dès son introduction, ce sont là « autant d’images traditionnelles qui le mènent toujours, lui aussi, mais comme dans un deuxième temps, à l’Eucharistie qui est source et sommet de la vie de l’Église »…
Église, agent de réconciliation
Dans la troisième partie, le père Nègre parle davantage en son nom propre. Cette Église, abordée par ses deux auteurs à partir de la Trinité, est d’abord pour lui lieu de la miséricorde et du pardon, le mystère pascal y a un rôle central et la mission de l’Église est, avant tout, d’être agent de réconciliation. Dans le deuxième chapitre, il insiste, à la suite de Michel Dujarier, sur l’autre nom de l’Église qui était, dans l’Antiquité, la Fraternité et, aussi, sur la place centrale de l’évêque (même si elle est envisagée un peu différemment par Kasper ou Zizioulas) au sein de l’Église.
Les ministères sont d’abord au service de la communion de tout le Corps et doivent manifester, en particulier d’après Kasper, diaconie et sainteté. Son ultime chapitre traite de la question de la primauté, cette dernière et la synodalité étant « mutuellement constitutives » de l’Église, ce ne sont pas seulement des éléments destinés à mieux faire fonctionner cette dernière… Il note à plusieurs reprises que Zizioulas n’emploie jamais le terme de ‘collégialité’ni n’enracine le principe de primauté dans l’Écriture elle-même.
En toute fin de son long parcours, le père Nègre ose quelques pistes pour avancer dans le dialogue œcuménique sur cette délicate question de la primauté du pape : pour lui, elle ne peut qu’être conçue, et bien sûr vécue, que sous le primat de la miséricorde, et donc aussi de l’humilité, il va jusqu’à intituler un de ses paragraphes : « Le ministère de Pierre, mystère d’agenouillement. »