Saint Jean-Chrysostôme sur l'unité et la rupture de l'unité.
Date de publication : Jan 08, 2020 7:19:58 PM
"Au commencement de la prédication des Apôtres, il n'y avait parmi tous les fidèles qu'un coeur et qu'une âme. La charité qui les unissait tous entretenait parmi eux l'unité de la foi. Nulle ombre de division ; la cupidité en était bannie. Cette touchante harmonie s'altéra avec l'affection aux richesses qui amena insensiblement dans les riches le mépris pour les pauvres, et dans ceux-ci la haine pour les riches". Saint-Paul déjà s'en plaignait pour l'Eglise de Corinthe ; "Je ne puis vous louer, écrivait-il aux chrétiens de cette ville, de ce que j'apprends que lorsque vous vous assemblez dans l'Eglise, il y a des particularités parmi vous""; ainsi s'exprime Saint Jean-Chrysostôme dans son homélie intitulée "Pourquoi est-il nécessaire qu'il y ait des hérésies ?.
En demandant à ce que tous les chrétiens soient unis par les liens de la charité, Saint-Paul n'entend pas "une charité froide qui n'en ait que le nom", mais une charité réelle, intime, qui pénètre les âmes, les noues les unes aux autres en des noeuds aussi étroits que les membres du corps le sont entre-eux, de telle sorte que rien au monde ne puisse en rompre l'harmonie. C'est là le principe de tout ce qui s'y fait de bien. "Un seul corps, dit-il par l'acquiescement de toutes les volontés, par l'uniforme correspondance de tous les membres, par l'affection mutuelle qu'ils se portent". Ces liaisons fortes et cette harmonie fait qu'il n'y a point d'envie parmi eux, et que la joie de l'un fait la joie de tous, animés qu'ils sont du même esprit. On voit donc qu'il n'y a point d'unité dans le corps, si celui-ci n'est mu par un même esprit. [1].
Toujours dans l'homélie intitulée "Pourquoi est-il nécessaire qu'il y ait des hérésies ?, Saint Jean-Chrysostôme, autrement appelé Saint Jean Bouche d'Or, traite de la vraie foi et des combats que les fidèles du Christ ont à livrer pour demeurer dans la fidélité. Oui, dit-il, "Il faut qu'il y ait des hérésies parmi vous, afin qu'on découvre par-là ceux d'entre nous qui ont une vertu éprouvée".
Bien qu'il distingue clairement le schisme de l'hérésie, il y a pour Saint Jean-Chrysostôme deux sortes de divisions qui altèrent la vie de l'Eglise, corps mystique; l'une-d'elle provient du refroidissement de la charité tandis que l'autre résulte de la séparation encourue par des fautes qui ont mérité que leurs auteurs soient retranchés du corps. Dans l'une et l'autre manière, les auteurs ne font plus partie de l'Eglise [2]
Saint-Jean Bouche d'Or met en cause directement l'ambition et le désir de dominer comme facteur de division; sa mise en garde est sans appel "Vous auriez fait toutes les bonnes oeuvres imaginables; si vous rompez l'unité de l'Eglise, vous vous rendrez aussi coupable que si vous mettiez en pièces le corps de Jésus-Christ" [3].
Toutefois si celui qui deviendra le Patriarche de Constantinople s'attaque à ce qui s'oppose à l'Eglise, il ne combat pas pour autant l'hérétique mais l'hérésie elle-même; il ne hait pas l'homme à l'origine de la rupture mais l'erreur elle-même; voilà le seul ennemi qu'il cible pour faire revenir de leur égarement des esprits que le démon a engagés dans une fausse route [4].
Nous sommes en droit de nous interroger sur les raisons qui poussent le Sauveur à accepter que la vraie foi et la doctrine des apôtres soient souvent combattues comme elle le fut par l'arianisme, laissant tranquilles hérésies et idolâtrie.
C'est que Saint Jean-Chrysostôme voit dans l'action des ténèbres sur l'homme et les fidèles, deux types de guerres : une première qui vient du dehors et une deuxième menée de l'intérieur dont les ravages sont d'autant plus profonds qu'ils sont cachés. Une telle guerre intérieure avait déjà cours qui était ourdie par l'arianisme qui "se répandit comme un torrent impétueux".
Le Patriarche de Constantinople nous explique dans son homélie sur les hérésies , que "Notre Seigneur, alors qu'Il a autorisé ses adversaires à s'exprimer pour contraindre la véritable foi, attaquées de partout, à s'accroître par les obstacles mêmes que lui suscitent ses ennemis". Il ajoute : "le Seigneur permet la présence d'hérétiques pour éprouver la fidélité des croyants. Il nous invite à "faire attention à bien connaître les faux prophètes, à les examiner mûrement en les reconnaissant à leurs fruits spirituels". Quant aux hérésies elles-mêmes, "Dieu les autorise et les laissent en paix pour nous apprendre qu'elle est leur faiblesse, en les voyant se détruire d'elles-mêmes" [5].
Nous sommes avertis par le Patriarche de Constantinople de notre fragilité alors qu'il nous rappelle l'attitude attendu du Chrétien :"Une fois que l'on s'écarte du point de la vérité, on est facilement entraîné dans milles erreurs [6]. "Jésus-Christ ne nous ordonne pas d'examiner pour nous décider par nous-mêmes, mais d'obéir; de disputer, mais de céder; de parler, mais d'écouter; d'être savants, mais d'être humbles ; c'est que le catholique n'est pas celui qui sait mais surtout et uniquement celui qui croit". "La science par elle-même ne fait pas la foi; mais l'humilité de la foi fait le mérite de la science". Personne ne périt dans les voies de l'obéissance et de la simplicité, au lieu que sans l'humble soumission on ne peut que périr avec toute la science qu'on possède et avec tous les savants qu'on admire" [7].
Il nous rappelle que "l'Ange des ténèbres se transforme souvent en Ange de Lumière qui sous un masque imposteur, introduit arbitrairement des doctrines impies" [8]. La vraie science est "d'ignorer ce que l'on ne peut connaître". Le "Chrétien ne s"égare pas dans les questions infinies ; il se resserre humblement dans les points que Dieu a révélés à son Eglise. Et ce qu'il n'a pas révélé, il trouve de la sûreté à ne le savoir pas" [9].
Il y eut toujours "un extrême danger à vouloir expliquer les secrets de Dieu par les seules lumières de la raison; or ils ne se découvrent que par celles de la foi". "Avec la raison, rien que des incertitudes ; avec la foi, vous avez la pierre ferme, l'ancre du salut qui vous soutient contre les vagues agitées. Que d'abîmes, que de précipices ouverts de toutes parts, où le chrétien est conduit par sa raison, quand elle ne se laisse pas elle-même conduire par l'autorité" [10].
Nous ne serons pas jugés sur notre science bien sûr mais en retrouvant Saint-Paul, Jean-Chrysostôme nous rappelle que nous serons jugés sur les fruits. "Le fidèle", dit Saint Jean Bouche d'Or, "qui est à considérer comme le sel de la terre, se voit juger à ses fruits". Mais quels sont ces fruits, sur lesquels appuyer notre jugement pour distinguer la bonne de la mauvaise prédication ? Le Patriarche de Constantinople s'appuie alors sur l'avorton du Seigneur pour rappeler que c'est "la charité, la joie, la paix, la patience, l'humanité, la bonté, la foi, la douceur, la modestie, la tempérance et la chasteté. Point de fruits à attendre des épines et des ronces ; elles ne portent que des épines, et ne recèlent que des serpents".
A ce stade de notre présentation, nous n'avons pas encore prononcé le mot d'Unité. La question est abordée dans sa troisième homélie relative à la première Epître aux Corinthiens que l'on pourrait qualifier, sans abus, "d'homélie sur l'unité". C'est encore Saint-Paul qui ouvre le prône. "Je vous conjure, mes frères, par le nom de Jésus-Christ notre Seigneur, d'avoir tous un même langage, et de ne point souffrir parmi vous de divisions ni de schismes, mais d'être tous unis ensemble dans un même esprit et dans un même sentiment" [11]. Il y constate que l'Apôtre appelle le Christ à son secours en précisant qu'il faille prévenir des progrès du mal par des moyens forts et puissants (ici le recours au Seigneur) pour "exciter dans les consciences coupables la confusion et le remord" sans quoi l'orgueil et l'endurcissement suivent [12].
Celui qui dans cette homélie n'est alors que prêtre nous éclaire sur les intentions de l'Avorton de Dieu demandant aux habitants de Corinthe "d'avoir tous un même langage et de ne point souffrir de schismes, mais d'être tous unis ensemble dans un même esprit et même sentiment". Le mot schisme est prononcé; mais qu'est-ce que le schisme ? "Ce mot, dit-il, suppose un accusation redoutable qui intéresse toute la communauté. Il suffit qu'une partie de l'Eglise soit blessée, pour que tout le reste soit en souffrance. Pendant que le tout demeure uni et entier, il se conserve. Dès qu'il se divise en plusieurs parties, non-seulement ces parties divisées ne peuvent plus se conserver ; mais ce tout qu'elles composaient périt. C'est là ce que produit le schisme dans l'Eglise" [13].
Lorsque Saint Paul nous exhorte "à n'avoir tous qu'un même langage", il ne demande point une simple union de paroles : c'est une union "d'esprits et de sentiments que je désire". "Il ne suffit pas, dit-il, d'être uni par la foi, si l'on n'est réuni par la charité" [14]. En outre, "il n'y a d'unité que là où il y a une même foi" [15]. "Il ne sert de rien d'être près de Jésus-Christ, si l'on n'en est pas rapproché par la foi"...et....ce qui anéantit notre foi c'est que très peu de personnes veulent conformer leur conduite à leur croyance" [16].
L'Eglise de Dieu est une". "Ce n'est pas seulement l'Eglise de Corinthe, mais celle qui est répandue par tout le monde. Qui dit Eglise, dit union, non point séparation ; identité, non point dissidence dans la foi"[17]. Quant au Christ, il nous enseigne que rien n'est plus funeste que l'esprit de division. "Tout Royaume divisé contre lui-même, tombera en ruine"...."Commençons donc par nous mettre bien dans l'esprit, qu'il n'est rien de pire que de rompre l'unité de l'Eglise, de déchirer cette robe sans couture [18] dont les bourreaux mêmes de Jésus-Christ n'osèrent pas violer l'intégrité....Brebis égaré, vous n'êtes pas avec le troupeau : ne craignez-vous pas de tomber sous la dent de l'ennemi qui rode sans cesse à l'entour, cherchant à vous mettre en pièces ? Vous vous éloignez du bercail : vous allez être la proie du loup dévorant" [19].
Mais Saint-Jean-Chrysostôme, Patriarche de Constantinople, envoyé en exil est un homme de Paix."La Paix avant tout". "Voilà pourquoi, dit-il, celui qui préside à nos saintes assemblées, commence tous nos pieux exercices et les termine en vous souhaitant la paix. soit avant, soit après la bénédiction, les prêtres expriment le même souhait. Ce que j'appelle la paix n'est pas un vain mot, c'est la paix de Dieu, celle qui provient de l'unité des esprits et des coeurs. Quand même il serait possible que l'Eglise se trompât, toujours vaudrait-il mieux se tromper avec elle que de s'en détacher, au risque de se perdre. C'est un artifice du démon de vous isoler, pour vous écarter du troupeau et de vous frustrer du bienfait de la prière publique en vous éloignant de l'Eglise [20].
Et nous terminons par un extrait de l'homélie sur l'Anathème : "Dieu ne veut pas que l'on répande le sang des hérétiques ; il ne permet point à ses apôtres d'arracher l'ivraie, à cause du bon grain ; ces sortes d'exécutions furent toujours autant de semences de guerres et de sanglantes représailles. Il ne le permet point, pour deux raisons : la première, parce qu'en arrachant l'ivraie, on peut aussi arracher le bon grain ; la seconde, parce que tôt ou tard ils seront punis, s'ils ne reviennent de leur erreur. Laissez donc à Dieu la liberté d'en faire justice. Il peut même se faire qu'il y en ait qui, d'ivraies, deviennent de bons grains".
Le Président de l'ACOS
[1] - Homélie XI sur l'Epître aux Ephésiens.
[2] - Idem.
[3] - Idem.
[4] - Homélie intitulée "Pourquoi est-il nécessaire qu'il y ait des hérésies ?
[5] - Homélie XX du Commentaire imparfait sur l'Evangile de Saint-Mathieu.
[6] - Homélie VII sur l'Evangile de Saint-Mathieu.
[7] - Homélie prononcée par Saint Jean-Chrysostôme, Patriarche de Constantinople, avant de partir pour l'exil.
[8] - Idem.
[9] - Idem.
[10] - Idem.
[11] - Ep. I.Cor 1-10
[12] - Homélie III sur la première Epître aux Corinthiens.
[13] - Idem.
[14] - Idem.
[15] - Homélie XI sur l'Epître aux Ephésiens..
[16] - Homélie prononcée par Jean-Chrysostôme, Patriarche de Constantinople, avant de partir pour l'Exil.
[17] - Idem.
[18] - L'image de la tunique a pu être empruntée à Cyprien de Carthage. « La Tunique de Jésus-Christ n’a été ni partagée ni déchirée ; seul un tirage au sort du vêtement a décidé de celui qui devait revêtir le Christ….Cela signifie que le Christ portait sur lui l’unité venue du haut, c’est-à-dire du « ciel et du Père »….Il ne peut être en possession de l’habit du Christ, celui qui déchire et partage l’Eglise du Christ ». Par le mystère et le signe de son vêtement, le Christ met en lumière l’unité de l’Eglise.
[19] - Homélie prononcée par Jean-Chrysostôme, Patriarche de Constantinople, avant de partir pour l'Exil.
[20] - Idem.